vendredi 28 août 2020

Les Métamorphoses d'Ishtar relecture

 Paru une première fois en 1987, réédité deux fois 1988 et 2008. Je l’ai relu suite à l’explosion du 4 août dans le port de Beyrouth. Je n’aurai pas su le crier aujourd’hui tant ma tristesse est grande. #editiondunoroit #Guernicaeditions

André Marquis dans Lettres québécoises :

À l'instar d'Ishtar

Y a-t-il quelque chose de plus difficile que de faire référence dans un recueil de poésie à l'actualité politique mondiale, que de parler du Liban et de l'Ethiopie, de la guerre et de la famine? La culpabilité, la morale, le larmoiement, voilà autant de récifs! À ma très grande surprise, Nadine Ltaif a su éviter tous ces pièges et elle nous présente un livre bien structuré, d'une ampleur et d'une force insoupçonnées. Par le biais de la légende, du conte et du mythe, elle parvient à construire un ouvrage crédible qui a le mérite d'insérer tous les éléments

référentiels nécessaires, sans pour autant agacer le lecteur. Elle développe l'univers métaphorique à un point tel qu'il constitue une gigantesque allégorie.

Ishtar, dans les religions anciennes de l'Asie antérieure, représente la déesse de la fécondité et des combats, tandis que, chez les Phéniciens, elle correspond à l'Aphrodite grecque. Le livre reproduit une semblable évolution, puisque l'auteure insiste d'abord sur les horreurs de la guerre pour déployer, par

la suite, un sensualisme féminin. Les titres des diverses parties rendent compte de ce cheminement: «Lettre à l'Oie des Mille et une nuits», «Histoire du Chameau», «Les Sirènes», «Ishtar» et «Fleur de Grenade».

Dans Les Métamorphoses d'Isthar, les animaux prennent la parole, si bien que leurs discours dépassent aisément les frontières qu'élèvent entre eux les êtres humains. Par ses références aux Mille et une nuits et aux Contes de ma mère l'Oye, Ltaif donne le ton à son récit où se multiplient les superbes strophes sans que le charme ne cesse d'opérer: "Mais comment vous avouer que mon inspiration vient d'ailleurs, que je ne suis pas d'ici, même si j'aime un loup à Montréal, que ma langue vient d'ailleurs, que l'écriture est d'ailleurs, que mon rythme à moi n'est pas celui de l'hiver, mais que ma passion pour vous méfait changer de langue, et je parle et raconte, comme une femme arabe à une autre femme arabe, comme une oie à une paonne hospitalière, raconte et raconte les malheurs et les malheurs, et ma frayeur des fils d'Adam, (p. 33)"

La narratrice n'oublie jamais son passé, taché de sang, qui s'étale rouge dans sa mémoire.

Lettres québécoise, no 48, Hiver 1987-1988.



Sur les Métamorphoses d’Ishtar


En reprenant les deux premiers titres de l'auteure, se trouve souligner l'apport de l'auteure à ce qu'on a appelé l'écriture migrante qui émergeait dans les années 80. Dans Les Métamorphoses d'Ishtar, le mythe côtoie l'autobiographie d'une manière sensible et pertinente. Le mythe du Phénix est intimement liée à celui d''Ishtar dans la poésie de Ltaif. En évoquant le destin majestueux de cet oiseau, la poète retrace ses propres expériences douloureuses tout en gardant à l''esprit l''exemple merveilleux de l''aboutissement glorieux de toute souffrance.Entre les fleuves (finaliste du prix Émile-Nelligan) marque le retour du sentiment de l''exil qui est, comme d''habitude, lucidement observé par la poète dont l''imagination poétique l''emporte encore une fois dans la mythologie méditerranéenne pour dénicher un nouveau mythe qui puisse soulager son moi déraciné. Le mythe d'Hécate inspire l'élan créateur de Ltaif en composant son deuxième recueil.


" Après une enfance et une adolescence passée au Liban, pays de ses parents, Nadine Ltaif s’installe à Montréal en 1980. Exerçant dans le cinéma indépendant, elle est assistante de Hejer Charf pour le film canadien Les Passeurs (2003)… Elle enracine, sans l’y enfermer, son écriture dans le Moyen-Orient. Dès son premier recueil, Les Métamorphoses d’Ishtar, traduit en anglais en 2011, elle entremêle ses différentes cultures. Elle consent à son exil, mais refuse de s’y être emprisonnée. Dans sa quête insatiable de la vie, elle se méfie de toute pensée rigide et préfère opter pour une éthique de l’incertain. Aux pays de l’enfance et à celui de l’adoption, elle préfère un « hors-lieu » fertile, où rien n’est prédéterminé, où l’inédit est encore possible et où le paradoxe trouve une résolution fragile et éphémère. Son recueil Ce que vous ne lirez pas (2010), très épuré, illustre la manière dont, sans discours, la poétesse reste fidèle à son rêve de combattre  « l’humaine inhumanité » bien qu’elle sache que le paradis est à jamais perdu. Dans sa quête. « interminée » et interminable, d’une compréhension de soi et de ses différentes cultures, elle entretient cette posture interrogative, qui lui permet un certain émerveillement d’être, si fugace soit-il. Son écriture se veut outil, de déplacement du sens, nourriture pour son aspiration à a beauté et arme contre le mal afin que l’enfer n’occupe pas tout l’espace."

Dictionnaire universel des Créatrices, Éditions des femmes, 2015

Entrée Nadine Ltaif (poétesse libanaise) par Lucie Lequin















Chant des créatures de Nadine Ltaif

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