dimanche 16 décembre 2018

Souvenirs de Jérusalem par Sirine Husseini Shahid


C’est la voix de Sirine, la mère de Leila Shahid, ex-ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne, qu’on entend dans ce récit qui est une somme de portraits, des tableaux de la Palestine d’avant et après 1948. Cette mémoire nous la connaissons mal, car non transmise par les médias dominants; elle nous poigne au ventre tellement le style est proche de l'écriture de Colette, (Odile Demange nous livre une magnifique traduction française). « J’ai découvert que mes souvenirs les plus heureux sont des images de lieux davantage que d’êtres humains… je ferme les yeux, je me rends à Jéricho en hiver, à Sharafat l’été, et à Jérusalem au printemps. Pour moi, c’est toujours le printemps à Jérusalem, à cause de ce matin d’autrefois où, de la fenêtre de ma chambre, j’ai vu les trois coquelicots ».


Une dame, déjà âgée, revisite ses souvenirs. Merci à Edward Saïd qui l’a encouragée à consigner par écrit ce précieux récit intime devenu document historique de grande valeur. Il s’intéressait, nous a dit sa fille, Leila Shahid, lors de sa dernière visite à Montréal, aux récits de l’Histoire livrés par les femmes. Il le dit dans sa préface, ce livre devrait figurer dans le Musée de la Mémoire. Et en effet, il y figure au premier rang. Il s’agit d’un monde disparu, celui du « hakawati », le « conteur » qui passait dans les ruelles avec sa « rababa » instrument à deux cordes. Sirine ferme les yeux et revisite les printemps de Jérusalem, sa ville d’origine qu’elle a dû quitter à la suite de l’occupation, de l’arrivée massive des juifs. Elle retrouve ses souvenirs devenant, en elle, un havre pour son pays perdu. Quand Sirine raconte comment sa mère retourne dans sa maison habitée par des colons venus de Bagdad, comment les deux femmes se retrouvent avec humanité, l’émotion est palpitante, et le silence est plein de l’absurde injustice. Les épisodes se succèdent apportant rebondissements et surprises. L’épisode de Sitt Zakkieh qui augure le BDS en refusant d’acheter chez Orosdi Back, les grands magasins qui existaient à l’époque ottomane, après à une réplique désagréable du vendeur.  Le livre se termine sur une note poétique : la photographie de quatre générations de femmes. Sirine, sa mère, sa grand-mère et son arrière-grand-mère.
Laquelle fut la plus heureuse ? se demande Sirine. Celle qui ne connut pas l’occupation, mais resta dans sa maison et sa ruelle de Jérusalem, conclut-elle, car elle n’a pas connu le sort des réfugiés, et n’a pas souffert de l’éternelle quête d’une identité sans ambiguïté : « Le matin où je retrouvai ce vieux portrait de famille, je n’ai pas le courage de le regarder bien longtemps. Certains jours, le passé pèse lourd sur le cœur. Mais je m’y plonge souvent, et je me souviens ». Un récit intime à la musicalité palpable. 


Le livre est difficilement trouvable, mais nous souhaitons une autre publication.

Sirine Husseini Shahid, Souvenirs de Jérusalem. Préface d'Edward Said. Traduit de l'anglais par Odile Demange, Fayard, 265 pages.



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