mercredi 24 mars 2021

Ce que je dois à Nawal El Saadawi


J’ai lu Nawal El Saadawi à 18 ans. Je découvrais l’amour en même temps que je découvrais la misère du Caire. De quoi ne pas donner envie de vivre. La guerre du Liban nous avait forcés à déménager au Caire où mon grand-père avait pu nous recevoir en attendant la fin de la guerre civile. Nous y étions restés deux ans de 1975 à 1977. De 1977 à 1978 nous étions retournés à Beyrouth, le temps d’une accalmie, puis à nouveau retour au Caire de 1978 à 1979. Ces multiples déménagements m’épuisaient moralement et m’empêchaient de prendre racines amicales dans chaque pays. C’est dans ce contexte instable que je m'éveillais à la situation injuste réservée aux femmes et aux limites de leurs libertés. Il fallait les surprotéger des prédateurs masculins. Nawal El Saadawi vient de nous quitter à l’âge de 90 ans. Médecin, psychiatre, écrivaine, elle analysait la société des femmes en Égypte et leurs conditions d’opprimées. Mutilations sexuelles des petites filles, tabou de la virginité, crimes d'honneur contre les femmes, elle s’intéressait aux femmes du milieu rural.  

Nawal disait " Je suis Isis ! " La déesse égyptienne. Elle voulait qu’on continue à l’appeler Isis comme dans son village de la Haute Égypte. Cette identification à la déesse de la fécondité n’était pas sans importance. Elle démontrait son engagement en tant que médecin auprès des femmes. Elle avait un tel amour pour la femme paysanne pauvre égyptienne qu'elle tenait à la sauver de la violence qu’elle subissait. 




Cet amour est émouvant et on peut lire son récit poétique traduit par Assia Trabelsi et Assia Djebar
Ferdaous, une voix en enfer comme un hymne à la jeune femme fellaha d’Égypte. 
Nawal El Saadawi représente tellement pour toutes les jeunes filles nées dans un pays arabe mais aussi toutes les filles et les garçons qui ont hérité et subit le régime patriarcal. 


 « Il est nécessaire de comprendre que la lutte la plus importante à laquelle sont confrontées les femmes dans les pays arabo-musulmans n'est pas celle de la «libre pensée» versus «la croyance en la religion», ni des «droits féministes (comme parfois on le pense en Occident) contre le« chauvinisme masculin. », il ne vise pas non plus certains des aspects superficiels de la modernisation caractéristiques du monde développé et de la société aisée. Dans son essence, la lutte qui se déroule actuellement vise à faire en sorte que les peuples arabes prennent la possession de leur potentiel économique et de leurs ressources, ainsi que de leur patrimoine scientifique et culturel afin qu'ils puissent développer au maximum tout ce qu'ils ont et de se débarrasser une fois et pour toutes du contrôle et de la domination exercés par les intérêts capitalistes étrangers. Ils cherchent à construire une société libre avec des droits égaux pour tous et à abolir les injustices et l'oppression des systèmes basés sur les privilèges de classe et patriarcaux. » 
Femme au degré zéro, 1975 

Préface à la traduction anglaise (traduction de Sherif Hetata) de La face cachée d’Ève. Publié une première fois en arabe en 1977. 


 Je prenais ma caméra super 8 et filmais des scènes de rues dans les quartiers populaires du Caire ou bien dans le village de Kirdasa, où des tisserandes toutes jeunes fabriquaient des tapis devenus célèbres par leur style. Ces petits films je ne les trouve plus que dans mon souvenir.



                  


 Alors que j’écrivais ces mots je suis allée chercher ces dits films et, oh, surprise je retrouve une boite dans laquelle la pellicule super-8 est conservée. Reste à faire un transfert pour découvrir les images manquantes à ma mémoire. 


L’existence de Nawal El Saadawi me confortait et me fortifiait dans ma révolte. Ses livres étaient autant de preuves que, oui, il est important d’être féministe dans les pays arabes, qu’ils soient musulmans ou chrétiens. Les filles n’étaient pas les égales de leurs frères et n’avaient pas les mêmes droits. Ce qu’elle m’a appris : ne pas renoncer au combat. Écrire, comme filmer, est aussi un combat. 
La Face cachée d’Ève, 1977

 « Je continuerai à écrire. J'écrirai même s'ils m'enterrent, j'écrirai sur les murs s'ils me confisquent crayons et papiers; j'écrirai par terre, sur le soleil et sur la lune... L'impossible ne fait pas partie de ma vie. » 
Nawal El Saadawi (1931- 2021)

lundi 15 mars 2021

Extrait du Journal 1

Hier, avec mon amie, nous sommes allées au Vieux-Montréal pour faire une longue marche. Les rues étaient enneigées mais nous n’avions pas besoin de nos crampons. Tout était fermé, ni restaurants, ni cafés, ni boutiques. Seuls les rares cafés ou pizzas offraient des mets ou boissons chaudes à emporter. Les lumières de Noël étaient encore illuminées. L’église Notre-Dame fermée. La rue McGill avec des sculptures en formes d’arbres aux branches nues, décorés comme des chandeliers de lumières faisaient sans conteste de McGill la plus belle rue de Montréal. Rue de la Commune, Place Jacques Cartier, vers l’Hôtel-de-Ville. On a décidé de descendre vers le centre-ville par l’esplanade de l’Hôtel-de-Ville. La vue du centre-ville la nuit, avant le couvre-feu de 20h nous réconciliait avec la morosité de notre époque. Puis, traversant l’autoroute Ville-Marie, on a aperçu une petite souris qui fonçait vers nous, sortie toute chaude des cuisines. Elle ne semblait pas souffrir de malnutrition. Je m’arrêtais, me retournais pour la regarder courir. Chose surprenante, comme ayant lu dans ma pensée, la souris s’était arrêtée aussi, fit volte-face et fonça à nouveau à ma rencontre. Je n’arrive toujours pas à m’expliquer son empressement. Qu’avait-elle flairé ? Mon intérêt, ma bienveillance à son égard ? pensait-elle que j’allais la nourrir d’un fromage, d’un bout de pain. Cette apparition m’a rassurée. Nous n’étions pas tout à fait seules. Ni tout à fait coupées du règne animal. Les contes pour enfants pouvaient continuer d’exister.

Extrait du Journal 
fin janvier 2021

Chant des créatures de Nadine Ltaif

EN LIBRAIRIE LE 6 FÉVRIER 2024  Le 4 août 2020, une explosion inouïe dans le port de Beyrouth cause des milliers de morts et de blessé·es, d...