mercredi 17 novembre 2021

Femmes de parole, une nouvelle revue dans le paysage littéraire québécois

 

La naissance d’une nouvelle revue littéraire qui met en valeur l'écriture des femmes est un évènement à célébrer. Femmes de parole, fondée et dirigée par la poétesse Nancy R. Lange, vient de paraître. Sa mission est de rendre « visible » la voix des autrices et artistes femmes. Dans son introduction, Nancy R. Lange présente le premier numéro comme un engagement féministe pour lutter contre l’effacement du rôle de l’écriture des femmes dans l’espace de la littérature. Trois sections s’y trouvent : Une passerelle France-Québec, un hommage à Louky Bersianik et une section en mémoire aux femmes victimes de féminicide.
Dans la première partie, on découvre les poèmes des autrices françaises et québécoises qui explorent dans un deuxième texte les liens qui les unissent à d’autres poétesses. Cécile Oumhani (que j’ai eu le bonheur de rencontrer lors d’un colloque à l’Unesco en juin 2008) nous parle de Brigitte Gyr. Ensuite viennent, jumelées, Brigitte Gyr/Françoise Hán, Marie-Hélène Montpetit/Nicole Brossard, Nicole Brossard/Anne Hébert, Sophie Brassart/Hélène Fresnel, Hélène Fresnel/Vénus Khoury-Ghata, Mäelle Dupon/Claudine Bertrand et Claudine Bertrand/Louky Bersianik.
La deuxième partie est un hommage à une figure incontournable de l’écriture et l’innovation dans le langage : Louky Bersianik, qui nous a quittés il y a exactement dix ans en décembre 2011. Louky Bersianik s’est nourrie de mythologie grecque, de figures féminines qu’elle met en scène dans ses livres phares : Le Pique-nique sur l’Acropole* ou le magistral L'Euguélionne : roman triptyque.** Dans ce numéro, nous retrouvons sa voix dans les extraits des lettres envoyées à l’Abeille, le surnom donné affectueusement à son amie Claire Varin, romancière et essayiste. La quête de l’antiquité y est vibrante : « La mythologie est pour moi une source intarissable d’émerveillement parce que ses histoires sont vraies tout en ayant l’air invraisemblables… ». Son « inventivité langagière » comme le mentionne Claire Varin a fait d’elle une avant-gardiste de l’écriture contemporaine des femmes. *** 

Louky Bersianik a donné à la poète Claudine Bertrand « l’impulsion nécessaire pour créer la revue Arcade (25 ans d'existence), lieu d’expression où la parole des femmes est prise en compte en tant que sujet non plus hors-sujet ».

J’aimerais ajouter que Maïr Verthuy, professeure émérite et première directrice de l’Institut Simone de Beauvoir à l’Université Concordia a enseigné l’œuvre de Louky Bersianik dans son corpus des écrits des femmes. La cinéaste Hejer Charf lui a consacré un film Autour de Maïr **** où elle donne la parole aux écrivaines québécoises, françaises et issues de la francophonie. Maïr Verthuy y raconte comment elle avait incité le traducteur Howard Scott, alors son étudiant, à traduire vers l’anglais L’Euguélionne. La traduction avait remporté le prix du Gouverneur Général en 1997.****

La troisième section, ajoutée exceptionnellement, m’a émue particulièrement. Elle donne à des poètes femmes et hommes la possibilité d’imaginer un moment heureux dans la vie de douze femmes assassinées en leur dédiant un poème. Écrits souvent à la première personne, elles/ils offrent une ultime reconnaissance gravée sur la stèle imaginaire de la disparue.

Je me nomme Lisette et aujourd’hui 
je me suis levée j’ai attrapé le jour 
Lisette par Caterine Godin 

         Je m’appelle Zoleikha 
         et je parle la langue des nuages 
         Zoleikha par Odelin Salmeron 


J’emprunte vos fêtes 
Quand je bouscule la nuit 
Dyann par Mireille Cliche [ … ]

Lors du lancement du premier numéro de la revue Femmes de parole à la librairie Martin à Laval, l’artiste Claire Aubin qui a sculpté le buste de Louky Bersianik, et qui a créé les magnifiques visuels jumelés à des extraits dans la revue, était une des invitées. Après que des membres de l'UNEQ ont rejeté la candidature de Louky à titre de membre d’honneur, raconte Claire Aubin, l’organisme a accepté par la suite d’héberger la statue de bronze dans ses locaux. Claire Aubin a aussi réalisé des bustes de Gabrielle Roy, Marie Uguay et des dessins pour des livres de France Théorêt. 

En attendant la suite déjà prévue dans le deuxième numéro: un hommage à Anne Hébert qui vient tout juste de paraître. D’autres hommages (ou femmages selon l’expression forgée par Maïr Verthuy) à d’autres figures du féminisme en littérature sont attendus. Nous souhaitons un long et riche parcours à Femmes de parole et à Nancy R. Lange qui porte le projet avec enthousiasme et une belle énergie positive. 


 *Le Pique-nique sur l’Acropole, Montréal, VLB éditeur, 1979, 235 p. Réédition : Montréal, L'Hexagone, (comprend une préface de Claudine Potvin), 1992, 238 p. 

 **L'Euguélionne : roman triptyque, Montréal, La Presse, 1976, 399 p. Réédition : Paris, Hachette-Littérature, 1978 / Réédition : Montréal, Stanké, collection Québec 10/10 (comprend des extraits de la critique et un texte inédit de l'auteure : « Un roman qui n'en est pas un », 1985, 412 p. / Réédition : Typo, 2012, 736 p. 

 ***Rappelons qu’un spectacle organisé et inspiré par Aimée Dandois-Paradis a été présenté en mai 2012 à la salle du Gesù. Des extraits de la correspondance entre Louky Bersianik et Claire Varin, avec un accompagnement musical du fils de Louky, Nicolas Bernianik-Letarte. 

 **** Autour de Maïr film documentaire d’Hejer Charf (2015) a pris l’affiche à la salle Saint-André-des-arts à Paris. http://www.hejercharf.com/Nadja_productions/Autour_de_Mair.html 

 *****La traduction anglaise de Howard Scott est parue en 1996 sous le titre The Euguelion , chez Alter Ego Editions.

Pour se procurer la revue : https://femmesdeparole.org/

jeudi 4 novembre 2021

Kyoto song de Colette Fellous

Le titre évoque bien sûr le film de Marguerite Duras, India Song. Colette Fellous voyage en compagnie de sa petite fille Lisa qui a lui a demandé de l'emmener avec elle. Kyoto song est une errance, comme une porte ouverte sur le Japon et son chant venu d’un autre monde. Des souvenirs intimes viennent se greffer toujours au rythme du hasard auxquels seule la poésie peut donner un sens. 

Bashô, le haïkiste est évoqué, sa vie, ses haïkus, de même que Marcel Proust. 
« Je rapproche le cœur tremblant de Proust en cet instant unique et celui de Bashô quand il écrit ce haïku : On remarque d’abord / le visage des pêcheurs / puis les pavots en fleur. » 

 Musicalité du texte de Colette Fellous. 
« Dans le chant de la cigale, rien ne dit. C’est ce que j’entends dans ce souffle si ténu, une magie des secondes et une plainte infiniment douce et cruelle. » 

Le vent.
 « J’essaie de saisir encore le rythme de ce vent, son irrégularité qui est la splendeur même de sa démarche. »… « Ozu a capté ce mouvement dans ses films. » 

En revisitant les films d’Ozu, Colette Fellous revisite son passé en Tunisie, son enfance. « Alors j’ai pensé aux villes, aux jardins et aux êtres oubliés que voulait faire entrer Proust dans son livre, à l’Elyssa qui avait fondé Carthage et qui était le vrai nom de cette petite Lisa dont je tenais la main, des siècles et des siècles plus tard, dans les rues de Kyoto, en attendant le feu vert et ses pépiements d’oiseaux. » 

Chaque morceau est une prose qui nous accompagne bien après avoir refermé le livre. On laisse monter en nous la saveur, la tristesse du départ du pays natal. Colette Fellous écrit qu’elle a choisi Kyoto comme son nouveau pays natal, parce qu’elle peut le quitter sans douleur « puisqu’elle l’a choisi. » 

 L’autre, le vrai, elle le transporte toujours en elle.
Lisa, la petite fille de Colette Fellous 
Kyoto song, Colette Fellous, Éditions Gallimard, 2020, 185p.

Chant des créatures de Nadine Ltaif

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