samedi 10 mars 2012

La bande dessinée engagée



Chroniques de Jérusalem de Guy Delisle, éditions Delcourt, 2011
Cette histoire se passe de Mazen Kerbaj, Tamyras, Beyrouth, 2011
Comment comprendre Israël (en 60 jours ou moins) de Sarah Glidden, Steinkis, 2010








J’ai toujours aimé la bande dessinée. Ado, toute jeune, et plus jeune encore. Pour nous familiariser, dans un contexte ludique, avec la langue arabe, notre prof de neuvième nous proposait de lire ce que nous aimions, et je demandais des «Loulou», traduits en arabe. Rien de mieux pour apprendre une langue. Plus tard je me gavai des Astérix avec son liminaire, « nos ancêtres les Gaulois »,  Astérix légionnaireaux jeux Olympiques, et Cléopâtre étaient mes albums préférés. Puis en classe de quatrième, je fus récompensée du prix d’honneur : je reçus deux album de Claire Bretécher de la série « Les frustrés » accompagnés de ces propos  de la directrice : «Nous l’avons choisi selon votre caractère» . J’essaie jusqu’à aujourd’hui de décoder son message. 



C’est récemment, après les révolutions arabes du printemps 2011, que je me suis intéressée à la BD engagée. D’abord en lisant les caricatures des dessinateurs de Tunisie, d’Algérie ou d’autres pays ; entre rires et larmes, cela allégeait la douleur et permettait de rire des tyrans, ce qui assurait une mise à distance salutaire vis-à-vis ces bouleversements. 

Chroniques de Jérusalem de Guy Delisle, récompensé au dernier festival d’Angoulême, arrive au bon moment pour pointer du doigt tout ce que vous avez toujours voulu savoir au sujet des deux solitudes israélo-palestiniennes. Il informe autant qu’il critique. Dessins naïfs et paysage graphiquement bien croqués, il s’inscrit dans la lignée de la BD réalité. 
Son blog fait d’ailleurs les liens entre le réel et la fiction, puisqu’il y a mis en vis-àvis clichés photographiques et illustrations.
Il dessine comme il photographie. «J’écris avec mes yeux » disait Gertrude Stein. La BD est aussi cet exercice d’observation : sa série de patriarches qui distinguent les différentes confréries : orthodoxe, copte, arméniens, etc… Sa femme qui travaille à Médecins Sans Frontières sera coincée à Gaza durant l’épisode du bombardement. L’événement est amené d’une manière si réaliste, on pense à l’écriture d’un journal. Avachi devant la télé en train de manger des "munchies", il reçoit la nouvelle diffusée en direct et de sa femme au bout du fil : « Eh ben ! » s’exclame-t-il surpris, mais sans perdre son sang-froid, à la québécoise. Il note les injustices entre les deux Jérusalem : Est et Ouest. Les services donnés aux colons et non aux Palestiniens, tels l’eau, le ramassage des ordures. Il note aussi les points communs entre les deux peuples. Une bande dessinée qui a largement mérité son fauve d’or!



Le regard de Guy Delisle, regard extérieur sur la situation est bien différent de celui d’un autre bédéiste qui me fait mourir de rire : Mazen Kerbaj. Dans Cette histoire se passe , Mazen Kerbaj rassemble des strips parus dans les journaux libanais: Al-Akhbar (arabe) et  L’Orient-Le jour (français). Les mêmes personnages reviennent : deux bourgeoises qui comparent leurs bonnes srilankaise et philippinoise, un petit garçon dans un camp de réfugiés palestiniens qui questionne sa mère sans arrêt, un chauffeur de taxi qui ne fait qu’un trajet, celui de se rendre à Hamra, l’ancien centre-ville d’avant la guerre, et les avions israéliens qui passent et repassent dans le ciel libanais, etc… Mazen Kerbaj démontre l’archaïsme des mentalités avec un humour mordant et un dessin brouillon que j'adore.





Une troisième BD sur laquelle je me penche est celle de Sarah Glidden Comment comprendre Israël en 60 jours (ou moins).
Album récompensé en 2010 par le prix Ignatz Awards (Talent le plus prometteur). Lucide, Sarah Glidden se rend en Israël dans le cadre de Taglit (programme mondial pour un séjour gratuit offert aux jeunes Juifs qui n'ont jamais visité le pays). On ne le répète pas assez : beaucoup de Juifs sont contre leur gouvernement et luttent en faveur de la paix entre Palestiniens et Israéliens. La BD participe à cet activisme. Dans son récit sous forme de journal, Sarah, qui se met en scène, n’hésite pas à questionner la société et à dénoncer les injustices : les colonies, les inégalités entre les communautés…. Elle décrit les faits tels qu’elle les perçoit, se sent déchirée dans sa conscience et résiste tant que possible au lavage de cerveau propagandiste des présentateurs et guides. Elle essaie de comprendre ce qui s’est passé, C’est encore l’histoire qu’elle interroge : "Alors c’est donc ça ? cette terre qui a fait couler tant de sang et causé tant de conflits ? ". Des associations surréalistes font allusion aux fourmis colonisatrices qu’elle observe sur le sol. " Pourquoi raser les maisons des gens ? Et continuer à construire des colonies ? Ça ne fait qu’empirer les choses." Le graphisme est détaillé : des paysages peints  à l’aquarelle (certaines très belles) informent le lecteur sur le conflit du point de vue israélien. Il me faudra également lire Palestine de Joe Sacco pour voir les choses du point de vue palestinien. .... La Bd réalité fait bouger le monde. 




1 commentaire:

  1. L'évolution de la bande dessinée vers le roman graphique a permis aux auteurs de développer des thématiques qui donnent à réfléchir. Le format, beaucoup moins commercial et contraignant que les BD de 48 ou 62 pages produites par les grandes maisons comme Casterman ou Dargaud, permet en effet l'élaboration d'oeuvres qui méritent le détour et présentent des sujets difficiles à travers des regards singuliers.

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