Sous
l’horreur des bombardements de juillet 2006 au Liban, Carmen Boustani
s’interroge sur cette guerre faite par les hommes et pour les hommes. Une
guerre dont, comme dans toutes les guerres, les femmes et les enfants paient
le prix. Carmen Boustani, professeure et essayiste, est connue pour ses
publications sur l’écriture au féminin.
Une femme
marche, revêtue seulement de sa dignité, à travers la ville détruite,
effacée. Des populations démunies attendent les bateaux affrétés pour les
transporter dans leur pays d’exil. Carmen Boustani dresse une fresque de
l’exode des ressortissants libanais dans l’attente des navires qui viendront
au secours des survivants.
L’écriture
est un travail qui nous force à vaincre nos peurs. C’est ainsi que la guerre
va pousser Yasmina, la narratrice, à aller plus loin dans la découverte de
l’autre (et d’elle-même). Elle acceptera d’accompagner les journalistes dans
le Sud dévasté, elle visitera Tyr meurtrie. Je ne peux m’empêcher de penser
au film « Je veux voir » de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige où
Catherine Deneuve s’aventure jusqu’aux frontières sud du Liban.
Aucun roman
à ma connaissance n’avait encore relaté ce triste épisode de l’histoire du
Liban : la guerre de juillet 2006 entre Israël et le Hezbollah.
La maison
de Yasmina, la narratrice, sera le refuge de tous ces exilés survivants. Lama
(l’amie de Yasmina) avec sa fille, qui partira en Grèce. Salma qui est
remontée à pieds vers Beyrouth, n’ayant pu prévenir personne et sauvant sa
peau.
Carmen
Boustani parvient à décrire avec réalisme l’atroce tragédie qui a anéanti
toute une région.
Pour survivre à l’horreur ? Yasmina concocte des mets
directement sortis des livres de Colette. Les écrivaines et leurs recettes
culinaires sont constamment présentes dans le roman de Boustani : les
desserts d’Alice Toklas, les ragoûts de Colette. Et puis, il y a les mots,
les mots analysés, dégustés, décortiqués au fil des pages. La narratrice
s’installe devant son ordinateur : les mots « identité »,
« crime », ou bien le mot « saliver ». Elle questionne,
goûte aux mots devenus matière vivante.
Il y a des
passages bouleversants, tel celui de la mendiante qui sonne de porte en porte
pour offrir contre une aumône un air de flûte.
D’autres,
d’un comique presque caricatural : en pleines funérailles, une conversation
« de femmes » : « ton tailleur est de chez… j’ai exactement le
même ». Des Libanaises qui continuent malgré leurs malheurs à extraire
de la beauté de leur quotidien et font ressusciter le Liban sous les absurdes
bombes qui continuent de pleuvoir.
La
narratrice, telle une magicienne, décrit « les aubergines dans leurs
robes noires », les odeurs et parfums de thym de cet étonnant Liban, se
délecte des mots qu’elle boit comme «les paroles d’une bouche aimée ».
Enfermée chez elle, elle a le temps de revisiter son enfance, les photos de
son grand-père, les vacances dans son village, le collège d’Antoura qui a
logé Lamartine. Nous sommes emportés dans la lecture de ce récit fluide et
sans complaisance qui nous révèle le talent caché d’une romancière.
Un récit
écrit comme une résistance, une survie et qui fait un pied de nez aux
artisans du malheur.
La guerre
m’a surprise à Beyrouth, roman de Carmen Boustani, éditions Karthala, 2010,
251 p.
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