mardi 22 mars 2016

Une Anglaise en Turquie au XVIIIe






En cette époque où ce qui vient du monde musulman est suspect, je voudrais parler d’une femme dont on ne ne se souvient plus. Cette dame est une lady du XVIIIe siècle. Elle se nomme Mary Montagu. J’ai découvert sa correspondance grâce au roman de Mathias Énard, Boussole. Épouse de l’ambassadeur anglais à Istambul, en 1717, elle décrit la Turquie comme, à ma connaissance, aucun Occidental ne l’avait fait auparavant. En lisant L’Islam au péril des femmes, je découvre une femme généreuse par son regard ouvert sur le monde. L’abondance de ses descriptions, son désir de passionner et d’éblouir ses correspondants par les choses « extraordinaires » qu’elle voit. Car pour de l’extraordinaire, il n’en manquait pas.

Lady Montagu a un tel degré d’empathie qu’elle ne semble plus appartenir à son peuple. Elle dit « votre » et « vos mœurs » en parlant de son Angleterre d’origine.
« J’ai lu votre Homère. Les mœurs orientales éclairent beaucoup certains passages des Évangiles qui nous paraissent bizarres, car elle comportent habituellement des tournures que nous appelons du langage biblique. »
Montagu est séduite, et elle le dit. Elle a la générosité de décrire la Turquie dans ses lettres à ses compatriotes, voulant leur communiquer son émerveillement et aussi, par la même occasion, les désennuyer. Elle va même oser écrire que le goût des Turques est plus délicat que celui des Anglaises. « Je préfère être un riche efendi avec toute son ignorance que Sir Isaac Newton avec tout son savoir. »
« Vous le voyez, ce peuple n’est pas aussi dépourvu de raffinement que nous nous le représentons. » 
Visionnaire et contemporaine à plus d'un égard. 
Ne devrions-nous pas regarder ces pauvres migrants qui échouent pas milliers sur l’île de Lesbos de la même manière ? Ils auraient certainement un raffinement ancestral à nous communiquer.


Lady Montagu lance en filigrane une critique de la société anglaise de l’époque. Un moment fort quand elle est reçue dans un harem. Au lieu des médisances que se chuchotent, dans le dos, les Anglaises de la grande aristocratie et bourgeoisie, elle dit être admirée et accueillie avec tendresse. Elle se trouve elle-même à admirer « les danseuses à demi renversées, qui se reprennent avec un savoir-faire que la prude la plus froide et la plus rigide ne les aurait pas regardées sans penser à des choses qui ne se disent pas. »

C’est lady Montagu qui va importer la science du vaccin contre la variole en l'inoculant à son propre fils et en voulant vacciner sa fille par la suite en Angleterre. Elle va ainsi transmettre cette découverte médicale en Occident.
Ces lettres, écrites avant la période dite orientaliste, sont un précieux et rare témoignage de l’époque de l’Empire ottoman qui, en ce temps-là, vivait une période de paix et de festivités, appelée « L’Ère des Tulipes. » Encore une importation orientale. Que des correspondances comme celles-ci sortent de l’oubli et soient relues pour recréer les ponts détruits entre les mondes musulmans et l’Occident. Pour que les cultures dépassent les identités religieuses et souvent « meurtrières » (relire l'essai d'Amine Maalouf, Les identitées meurtrières)



L’islam au péril des femmes. Une Anglaise en Turquie au XVIIIe siècle
Lady Mary Montagu
Éditions La Découverte & Syros, Paris, 2001



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