J’ai
rencontré Michka dans un cours de cinéma à l’université de Montréal en automne
1979. Je venais du Liban en guerre. Elle entrait dans la classe, le pied dans
un plâtre, avec des béquilles. Et elle cherchait du regard une place. Elle a spoté
la tête bouclée et elle est venue automatiquement s’asseoir à côté de moi.
Commençait
alors l’histoire d’une amitié qui allait se poursuivre pour plus d’une
trentaine d’années. Nos routes se sont séparées un temps quand je poursuivais
mes études en littérature et nous nous retrouvions dans un cours de journalisme
sous la direction de mon professeur de création littéraire Monique Bosco, à qui
nous avons dédié un livre d’hommage récemment avec Claire Varin.
La Tunisie,
le Liban, le monde arabe, nous le partagions.
C’est avec
beaucoup de tendresse que j’évoque son souvenir en moi et avec nostalgie que je
me remémore notre amitié, mêlée de rires et d’épisodes cocasses. Et aussi, bien
sûr, nos divergences.
En 1989,
elle me demandait de jouer dans son premier film, au titre si poétique Loin
d’où. Je devais incarner une jeune tunisienne, nouvellement immigrée à
Montréal. Ce qui était très facile pour
moi à cette époque. Je lui demandais si j’avais l’air d’une arabe. Elle me
répondait non sans ironie, « Non suédoise ».
Toutes les
deux, immigrées, dans le froid, venant d’un pays méditerranéen. Elle la
Tunisie, moi le Liban, il nous fallait apprivoiser et l’hiver et les mentalités
du nord.
Cet
isolement nous unissait et créait une complicité entre nous.
Ce qui me
fascinait surtout chez elle, c’est sa conscience politique. Son regard qu’elle
pose sur le monde. L’angle de prise de vue de sa caméra. Depuis que je suis
étroitement impliquée dans la production du film indépendant avec les
productions Nadja Productions et dans les films d’Hejer Charf, depuis 2001, je
réalise combien rester indépendant était gage pour rester fidèle au regard et à
la liberté d’expression d’un cinéma personnel et engagé.
Dans son
premier film « Loin d’où », sa poésie et son engagement étaient déjà
affirmés dans ce moyen métrage qui ne subissait pas encore le poids d’une
production exigeante, et lui laissait la liberté et la fraîcheur de dire ce
qu’il lui importait de dire Et de le dire musicalement. Dans le rythme de ses
images, ses paroles et sa voix.
Sa première
prise de conscience était sa lutte contre le racisme, qui débouchait sur sa
dénonciation des violences, notamment les violences policières. De Loin d’où à Tolérance Zéro, à Spoon, on
voit très bien le fil et le portrait en filigramme d’une révoltée, d’une
inconsolée.
Je remercie
Guilhem Brouillet et Mark Foss qui ont pensé m’inviter au Festival DOC-Cévennes pour partager avec vous l’hommage à un
être qui a compté très fort dans ma vie qui continue à nous accompagner et nous
interpeler.
Nadine
Ltaif
texte lu lors de la présentation de Loin d'où (10 mai 2018, Lasalle)
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