Un an Anna que tu es partie
par Nadine Ltaif
Je t’ai vue Anna Karina, pour la première fois, quand ton avion atterrissait à Montréal en automne 2004, en compagnie de Katerine et de son ami Philippe Eveno. Le trio venait pour un tournée de spectacles produits par mon amie Hejer Charf, cinéaste. Elle a toujours eu des projets surprenants. Au retour de Bilbao, après avoir assisté à un festival qui te rendait hommage, Hejer me déclare « J'ai invité Anna Karina et Katerine pour une tournée de chansons au Québec ». Elle trouvait tout à fait normal de produire aussi des spectacles de musique.
Pourquoi pas !
J’embarquais dans l’aventure. Je te rencontrais donc pour la première fois, Anna, toi qui vivais une nouvelle étape de ta vie, tu venais de lancer le CD Une Histoire d’Amour avec Katerine. J’assumais le rôle d’assistante d’Hejer qui a filmé les concerts réalisant un film émouvant : Anna Karina au Québec. On voyait combien tu étais heureuse quand tu chantais et combien vous vous amusiez pendant les répétitions.
Hejer a le don de pousser les êtres à se surpasser et leur insuffle une énergie créatrice. Elle t’encourage à écrire ton deuxième scénario de film et tu nous l’as dicté par téléphone de Paris. Tu t’inspirais des spectacles et de ton aventure au Québec pour imaginer un road-movie qui met en scène une productrice de spectacles amnésique qui cherche à retrouver sa mémoire en invitant deux chanteurs à se produire sur les scènes québécoises à travers la province.
Anna tu nous as apprivoisées et une amitié est née. Tu joues alors le rôle de Victoria, la productrice dans le film qui va porter le titre éponyme. Katerine et Philippe Eveno devaient jouer les rôles des deux chanteurs. Woodson Louis, qui avait été chauffeur lors des spectacles, et qui est un acteur d’origine haïtienne, va alors tenir le rôle d'homme de confiance de Victoria dans le film.
Mais Katerine venait de sortir son tube « J’adore » et ne pouvait plus tenir le rôle principal dans ton film. Le film était sur le point d’avorter. Hejer, en femme de parole que rien n’arrête, décide alors de poursuivre l’aventure en engageant un acteur et un chanteur québécois dans les rôles de Katerine et d’Eveno. Voilà comment est né le film Victoria. C’est une histoire d’amour. Un amour maternel. La quête d’une mère qui cherche son enfant perdu, sauvé d’un avortement. Nous avons beaucoup ri, Anna tu t’es beaucoup amusée sur le tournage du film. Une amitié se scellait de plus en plus. Les paysages québécois déferlaient dans le road- movie que nous tournions. Tu voulais que ce soit au rythme des méthodes de la Nouvelles Vague, de façon artisanale.
Une affection s’était installée. Je me souviens des dîners chez toi, la cuisine que tu aimais faire, la recette de la vinaigrette à la moutarde que tu m’avais donnée. Je retiens toujours ton conseil : si le filet-mignon est trop cher, tu peux toujours acheter la pointe de surlonge qui fait tout aussi bien.
Je me souviens des après-midi à Paris, les voyages à New York et à Florence, reçues très chaleureusement par les directrices Paola Paoli et Maresa D’Arcangelo du Festival International des films de femmes; tant de doux moments partagés, et, jusqu’aujourd’hui, alors que nous sommes à la veille de ton année, je ne peux réaliser que tu n’es plus. J’ose à peine penser à la douleur de notre ami Dennis Berry, ton mari, et de Katerine.
La dernière fois que nous nous sommes vues, on a passé l’après-midi à la terrasse du Chai de l’Abbaye à Paris à parler de poèmes. Tu venais de lire mon dernier recueil.
Où es-tu Anna ? Où… sinon dans la mémoire de la pellicule, celle de la Nouvelle Vague, de Godard, ou bien dans les paroles de tes chansons de film, ou en duo avec Katerine.
Suis-moi jusqu'au bout de la nuit
Jusqu'au bout de ma folie
Laisse le temps, oublie demain
Oublie tout ne pense plus à rien.
(Ne dis rien
chanson de Gainsbourg)
Ton voyage Anna n’est pas fini… Il continue.
Nadine, Anna, Hejer - photo: Dennis Berry |
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