samedi 12 janvier 2013

La dame à la canne rose



Je compte goûter à chaque minute, à chaque seconde et demi-seconde de ces moments avant le depart de Joël pour la Suède. Il est joyeux et dynamique. Un plaisir de le regarder. Avec ses cheveux qui ondulent sur ses épaules.

Nous sommes à Varadero, Cuba.
Au petit-déjeuner, derrière moi se tient un couple d'hommes. L'un marche avec une grosse canne rose. Je l'ai pris pour une femme. Avant de l'entendre parler de sa voix grave. Je pense que tous les deux viennent de Suède. Ce serait vraiment un incroyable hasard.

Je me dis devoir ne pas rater cette chance. De m'ouvrir sur une nouvelle rencontre. Son compagnon gentiment propose à la table voisine de les prendre en photo.
Êtes-vous de Suède ? demande-t-il. Are you Swedish?
No . From Austria.

Je vais me servir. Puis retourne m'asseoir à la terrasse. En passant, je souris à la dame à la canne rose. Je termine mon petit-déjeuner et me lève pour partir. Le courage me prend et je demande à la dame et à son compagnon : Êtes-vous "Swedish" ?
No. Canadian, me répond-elle.
C'est que mon fils s'en va en Suède pour cinq mois, pour un échange d'étudiants.
Son compagnon me répond: Ah ! Il va adorer. Je suis allé à Stockholm plusieurs fois. On peut visiter des îles par bateau. C'est splendide.
La dame à la canne rose me répond : Ne vous inquiétez pas pour lui, il sera très bien.

Je pensais que l'échange allait s'arrêter là. Je me trompais. Plus tard en matinée, j'attendais au lobby l 'ouverture du bureau des réservations de restaurants. La dame à la canne rose réapparait. Cette fois, elle s'avance vers moi, me sourit: Puis-je m'asseoir avec vous ?
Bien sûr.
Elle me demande combien m'avait coûté mon forfait. Je réponds : 800 $
C'est mon fils qui l'a trouvé sur internet. D'habitude nous avons un agent.
Nous, c'est l'inverse, me dit-elle. Nous achetons toujours par internet. Cette fois-ci nous l'avons trouvé par un agent. Ça nous a coûté plus cher.
Vous restez pour Noël ?
Non pour Hanouka
Je souris.
Elle me demande
Vous êtes libanaise ?
Oui.
Nous avons un ami Libanais, Albert Cohen
Comme le romancier français ?
Oui. Il avait été kidnappé pendant la guerre dans les années soixante-dix.
Il avait dû payer une rançon qui l'a dépouillé complètement. Il avait quitté rapidement Beyrouth.

Je voulais lui raconter que nous avions eu aussi un épisode d'exode. Mais elle parlait trop. Elle portait le signet rose. Je confondais les couleurs et le pris d 'abord pour un signet rouge. Le signet était rose comme sa canne. Elle m'expliqua qu'elle avait fait l'ablation des deux seins. Et qu'à présent, le cancer était à sa deuxième phase.
Mais ses souffrances ne s'arrêtaient pas là. Elle était née après la guerre, elle n'avait donc pas souffert directement de l'Holocauste. Ses parents étaient des survivants de la Shoah. Ce doit être insupportable de survivre à l'extermination et devoir encore mourir. Certains comme Primo Lévi ne le supportent pas et se suicident.

Le lendemain, nous visitions La Havane, qu'on aurait dit sortie d'une guerre. Des villas édentées, délabrées depuis la Révolution de 1957.

Je ne sais comment terminer mon histoire. La personne que j'avais pris pour la femme à la canne rose était-il un homme ? Je n' en étais pas convaincue, malgré le fait de l'avoir constaté par moi-même, l'ayant vue en maillot sur la plage. Mais c'est surtout moi qui me dévoilais en avouant l'importance que j'accordais au genre. Car peu importe en effet que cet être soit homme ou femme. Il/elle a marqué mon séjour et c'est ce souvenir que je choisis pour consigner dans mon carnet. Joyeux Noël - ou heureuse Hanouka - au fond, c'est du pareil au même.

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1 commentaire:

  1. Cette photographie de la Havane m'a fait penser à la photo de la place des martyrs en couverture du livre de Najjar... Peut-être la même période...

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