C’est la voix de Sirine, la mère de Leila Shahid, ex-ambassadrice
de la Palestine auprès de l’Union européenne, qu’on
entend dans ce récit qui est une somme de portraits, des tableaux de la
Palestine d’avant et après 1948. Cette mémoire nous la connaissons mal, car non
transmise par les médias dominants; elle nous poigne au ventre tellement le
style est proche de l'écriture de Colette, (Odile Demange nous livre une
magnifique traduction française). « J’ai
découvert que mes souvenirs les plus heureux sont des images de lieux davantage
que d’êtres humains… je ferme les yeux, je me rends à Jéricho en hiver, à
Sharafat l’été, et à Jérusalem au printemps. Pour moi, c’est toujours le
printemps à Jérusalem, à cause de ce matin d’autrefois où, de la fenêtre de ma
chambre, j’ai vu les trois coquelicots ».
Une dame, déjà âgée, revisite ses souvenirs. Merci à
Edward Saïd qui l’a encouragée à consigner par écrit ce précieux récit intime
devenu document historique de grande valeur. Il s’intéressait, nous a dit sa
fille, Leila Shahid, lors de sa dernière visite à Montréal, aux récits de l’Histoire livrés par les femmes. Il le dit
dans sa préface, ce livre devrait figurer dans le Musée de la Mémoire. Et en
effet, il y figure au premier rang. Il s’agit d’un monde disparu, celui du
« hakawati », le « conteur » qui passait dans les ruelles
avec sa « rababa » instrument à deux cordes. Sirine ferme les yeux et revisite les
printemps de Jérusalem, sa ville d’origine qu’elle a dû quitter à la suite de l’occupation, de l’arrivée massive des juifs. Elle retrouve ses souvenirs devenant, en
elle, un havre pour son pays perdu. Quand Sirine raconte comment sa mère
retourne dans sa maison habitée par des colons venus de Bagdad, comment les
deux femmes se retrouvent avec humanité, l’émotion est palpitante, et le
silence est plein de l’absurde injustice. Les épisodes se succèdent apportant
rebondissements et surprises. L’épisode de Sitt Zakkieh qui augure le BDS en
refusant d’acheter chez Orosdi Back, les grands magasins qui existaient à l’époque
ottomane, après à une réplique désagréable du vendeur. Le livre se termine sur une note
poétique : la photographie de quatre générations de femmes. Sirine, sa
mère, sa grand-mère et son arrière-grand-mère.
Laquelle fut la plus heureuse ? se demande Sirine. Celle qui ne connut pas l’occupation, mais resta dans sa maison et sa ruelle de Jérusalem, conclut-elle, car elle n’a pas connu le sort des réfugiés, et n’a pas souffert de l’éternelle quête d’une identité sans ambiguïté : « Le matin où je retrouvai ce vieux portrait de famille, je n’ai pas le courage de le regarder bien longtemps. Certains jours, le passé pèse lourd sur le cœur. Mais je m’y plonge souvent, et je me souviens ». Un récit intime à la musicalité palpable.
Laquelle fut la plus heureuse ? se demande Sirine. Celle qui ne connut pas l’occupation, mais resta dans sa maison et sa ruelle de Jérusalem, conclut-elle, car elle n’a pas connu le sort des réfugiés, et n’a pas souffert de l’éternelle quête d’une identité sans ambiguïté : « Le matin où je retrouvai ce vieux portrait de famille, je n’ai pas le courage de le regarder bien longtemps. Certains jours, le passé pèse lourd sur le cœur. Mais je m’y plonge souvent, et je me souviens ». Un récit intime à la musicalité palpable.
Le livre est
difficilement trouvable, mais nous souhaitons une autre publication.
Sirine Husseini
Shahid, Souvenirs de Jérusalem.
Préface d'Edward Said. Traduit de l'anglais par Odile Demange, Fayard, 265 pages.
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