Rien de mon errance de Nadine Ltaif, éditions du Noroît, 2019
Lecture par Nelly Roffé
Le dernier recueil de Nadine Ltaif doit son titre au poème de Thierry Metz cité dans le Manuscrit 2.
…...Pour me percher au plus haut du jour.
Avoir ce puits où me pencher. Mais
même là-haut
je ne perds rien de mon errance......
Deux voix se répondent, celle du Mendiant et celle du Narrateur dans un dialogue onirique qui nous emmène de Byzance à Venise, passe par la Turquie, la Syrie, le Liban, s'arrête à Montréal pour convoquer la dureté de l'hiver et la souffrance des Autochtones.
Le rôle du poète est de montrer la voie et surtout, ne pas rompre la chaîne, habiter les mondes, faire des ramifications.
Il ne reste au mendiant expulsé de la Cité que des carnets à remplir, sa mémoire ne faillit pas. Nadine Ltaif lui fait prendre la figure des exilés politiques de la littérature passée et présente : Ovide, Dante mais aussi Mandelstam, Gibran, Nazim Hikmet .
Elle cite ce dernier : « Les racines de ma poésie se trouvent sous la terre de mon pays ». Et plus loin : « Elles s'étendent en ramifications et s'orientent dans tous les pays du monde. »
Écrire un poème de la filiation consiste à hériter d'un ancien poète qui lui-même a hérité d'un autre et ainsi de suite.
Le recueil nous fait descendre aux sources retrouver les siècles, les époques, il recrée une histoire dialoguée à rebours : temps des empires, temps des invasions, temps des pillages, temps des commerçants vendeurs d'exilés.
On parlera ici d'un conte poétique polyphonique aux voix multiples où le mendiant, autrefois riche commerçant confie sa détresse dans ses carnets, narre les malheurs du monde dans ses feuillets « remplis d'encre noire » alors que les cris des mouettes déchirent le ciel et que résonnent les hurlements de l'enfer. Ses rêves de Méditerranée se sont évanouis. Il aurait tant voulu refaire naître le miracle du bonheur.
Jusqu'à quand aura duré le calvaire du pauvre mendiant ? Dans cette ville nordique où il s'est exilé, il appuie ses vieux os contre un arbre à qui il relate ses traumatismes. Des êtres aimés à jamais disparus,
des peuples qu'il a connus qui se sont entretués sans vainqueurs ni vaincus, des terres offertes, pillées, abusées. Il racontera son histoire aux fourmis, habitants de l'arbre qui l'écouteront en silence.
Avalés par les mers affamées, Nadine Ltaif interroge notre monde, le sort que nous réservons aux « migrants », à tous les déplacés qui aspiraient à une vie meilleure. Elle leur prête sa voix, prête à se dépouiller pour les aider.
Le recueil se termine par une lettre d'un père à son fils, elle est dédiée à Sherif, le frère de la poétesse. Il vient clore l'épopée onirique et s'incarne dans un événement réel : au lieu de vouloir la mort car plus rien ne l'anime, le père conseille le fils : Dépouille-toi de tout, deviens mendiant, va aider autrui, le vieillard et l'enfant, alors tu pourras mourir en paix.
Je salue la belle écriture de ce recueil de poèmes divisé en cinq parties, cinq manuscrits retrouvés . Il a la qualité de s'inscrire dans la tradition des grands écrivains passés et présents qui ont confronté le monde, l'ont parcouru et se sont prosternés en toute humilité devant la misère du monde comme pour dire à tous les déplacé que nous sommes, vous n'êtes pas seuls , nous témoignerons pour vous.
Commentaire de lecture de Caude R. Blouin :
Ça se présente sous une couverture où un dessin de songeuse la montre, yeux bien ouverts, se laissant imprégner de ce qui vient du fond de son histoire. Ça s'écrit au je masculin, comme si un écrivain masculin avait voulu pour s'assurer de rejoindre l'humain commun s'imaginer elle; ça vole du Moyen Orient à Venise à Montréal; ça se réclame d'Ovide, Gibran et Zweig, discrètement; ça parle de la richesse intérieure et des pauvretés que l'on associe aux richesses conventionnellement désignées telles; ça dit l'exil; ça dit les passages de victoires à défaites et les aveuglements successifs des empires; ça dit ce qu'interroge en nous tout mendiant, pour peu que l'on se sente errant; ça s'appelle RIEN DE MON ERRANCE, c'est de Nadine Ltaif, éd. Noroît.
Claude R. Blouin
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